Jean-François Noblet, membre de la Fédération de la protection de la nature, conseiller technique environnement du Conseil général de l’Isère, et naturaliste zoologiste est intervenu en ce mois de Mars 2016 auprès de notre classe de 2nde pour nous présenter le milieu de la montagne et les enjeux liés au tourisme.
En effet, le mode de vie à la montagne n’a pas toujours été le même qu’aujourd’hui : les activités qui existaient avant le développement du tourisme et du ski, et l’émergence d’un nouveau modèle touristique à visée écologique, étaient bien différentes et fondées principalement sur l’agriculture.
Mais tout d’abord, rappelons ce qu’est le milieu montagnard.
La montagne est organisée en plusieurs « étages » en fonction de l’altitude. Lorsque celle-ci est élevée (supérieure à 2900/3000 m), les conditions climatiques sont dures, et l’on trouve les neiges éternelles. Mais avec sa diminution, la faune et la flore changent et s’adaptent. L’étage alpin entre 2200/2400 m et 2900 m est composé d’arbres bas, de buissons, et l’on y rencontre par exemple, des animaux spécifiques comme le chamois ou le tétra-lyre propres à cet étage et à l’étage subalpin. Ce dernier s’élève à 1500/1700 m et on y trouve essentiellement des conifères. Puis entre 900/1100m et 1500 m s’étend l’étage montagnard, mélangeant les conifères et les feuillus. Enfin l’on trouve l’étage collinéen entre 200/400 m et 900 m ou se développent des feuillus. Aux altitudes inférieures se trouvent les plaines. L’altitude a aussi un impact sur l’implantation des populations, du fait des conditions toujours plus dures avec son élévation. Par conséquent les installations humaines dépassent rarement les 1900 m, avec, par exemple, Saint-Véran dans le Queyras qui est le village le plus haut à 2000m. A cette influence de l’altitude s’ajoute celle du soleil qui, selon l’exposition, détermine l’adret (au soleil) et l’ubac (à l’ombre).
Regard historique sur l’aménagement du territoire
Sur le plan historique, la montagne connaît une réelle révolution dans son occupation par les hommes. Les premiers espaces accueillant des populations furent les cols qui permettaient de contrôler les passages et de récolter des droits de douane. Mais il leur fallut s’adapter aux conditions naturelles : pentes, climat engendrant des difficultés de déplacement. Ainsi c’est surtout dans des refuges d’alpage durant la période estivale que les hommes s’aventuraient dans les étages élevés. Les villes, elles, se sont développées dans les vallées en bas des montagnes. Avant la Première Guerre mondiale, les populations étaient adaptées à la vie en montagne, leurs maisons à étages utilisaient la pente en s’adossant à celle-ci. Cela leur permettait de ranger le foin au 1er étage directement accessible grâce à la pente par l’arrière de la maison. Les animaux étaient à l’étage inférieur et donnant sur l’avant de la maison, entre les deux se trouvaient les hommes isolés par le foin au-dessus d’eux et chauffés par les bêtes en dessous. Les maisons étaient construites avec des matériaux locaux : le bois, la lauze pour le toit…. ainsi ce mode de construction était-il plutôt durable car il y avait peu de transport. Mais le déboisement induit par l’augmentation de la population aux XVIII° et XIX° siècles a pu provoquer une érosion des sols autrefois maintenus par les racines des arbres.
Autre forme d’adaptation : l’obligation d’être solidaire. En effet, avec un climat rigoureux, les populations étaient isolées et devaient donc se soutenir pour éviter les vols de nourriture qui auraient pu leur être fatals. Ainsi existait une réelle entraide. L’agriculture fut aussi marquée par le paysage. Les cultures étaient organisées en étages pour optimiser l’espace car les espaces plats étaient rares. Les torrents étaient déviés pour irriguer au moyen de canaux. Au final les communautés montagnardes étaient des sociétés assez fermées voire hostiles à l’arrivée d’étrangers.
Mais ces sociétés montagnardes ont aussi eu un impact négatif sur la faune en particulier. Par la chasse et le braconnage, de nombreuses espèces ont disparu : le grand coq de bruyère, le cerf, le chevreuil et le sanglier notamment dans les Alpes à la fin du XIX° siècle. Les prédateurs comme les loups, les lynx ou les ours (le dernier a disparu des Alpes françaises en 1937) ont été empoisonnés, ce qui a atteint aussi les aigles et les vautours (les derniers ont disparu dans les années 1920-1930)… tués en mangeant des charognes contaminées. Ainsi la biodiversité a été dégradée fortement.
Après la 1ère guerre mondiale, les espaces montagnards ont commencé à connaître un certain déclin. Beaucoup de leurs hommes sont morts à la guerre. Les femmes et personnes âgées ont des difficultés pour assurer les différents travaux nécessaires aux exploitations agricoles. En conséquence, l’exode rural a augmenté fortement dans les régions montagnardes.
C’est durant cette période que l’Etat va commencer à intervenir pour gérer cet espace. Avec la disparition des forêts alpines, le risque d’inondation dans les vallées a augmenté car les sols ne retenaient plus l’eau des pluies. Ainsi des barrages ont été créés pour contrôler le débit des torrents et cours d’eau, parfois aux dépens de populations qu’il a fallu déplacer. Cela a aussi permis de développer la « houille blanche », c’est-à-dire la production d’hydroélectricité, comme à Serre-Ponçon. Mais ces barrages ont eu un impact sur la faune aquatique en bloquant la migration de certaines espèces de poissons.
L’arrivée d’une agriculture plus industrielle et chimique a eu elle aussi un impact sur l’environnement, l’eau et la faune en particulier. En effet, les traitements antiparasitaires des bovins ont été tellement efficaces que les molécules employées pour tuer les vers dans les intestins du bétail ont tué les animaux vivants des bouses de vaches : insectes, oiseaux, chauves-souris… Une seconde conséquence est que, les bouses de vaches, n’étant plus dégradées par ces animaux, empêchent l’herbe de pousser ce qui réduit la ressource alimentaire du bétail dans les champs. Il en est presque de même pour le mouton que l’on a traité pour une moisissure des sabots à l’aide d’un produit à base de cuivre. Cette substance s’est retrouvée dans la nature et notamment les ruisseaux, provoquant une forte pollution de l’eau et causant la mort de la faune aquatique. Ainsi ce qui semblait être un bien pour l’élevage s’est révélé une catastrophe en terme environnemental et de biodiversité.
Le développement du tourisme après la seconde guerre mondiale a eu un fort impact sur la montagne. L’arrivée des alpinistes (personnes riches qui payent des guides locaux) dans des villes renommées comme Chamonix ou Zermatt en Suisse a menacé la civilisation montagnarde fondée sur la solidarité et la consommation locale. Le ski et les activités touristiques qui lui sont liées se sont beaucoup développés. La création de piscines chauffées en plein hiver, le développement du ski en été sur les glaciers ou des boîtes de nuit sur les pistes ont un fort impact sur la nature et le mode de vie traditionnel des montagnards. Ce développement touristique à outrance va complètement à l’inverse de la nature. Le régime des montagnards à base de fromage notamment est peu à peu remplacé par la pizza dont il faut acheminer les composants parfois de très loin au lieu de consommer des produits locaux. Le goût de l’effort montagnard disparaît suite à l’installation de téléphériques, télésièges… y compris pour les VTT. L’habitat traditionnel en bois et pierre est remplacé par des immeubles en béton. Au final, le seul élément conservé de la vie montagnarde est la pente pour descendre la montagne. Les paysages eux-mêmes sont impactés avec le développement de la voirie pour accéder aux stations qui mutilent les paysages. Les espaces autrefois vierges sont aujourd’hui défigurés par des lignes électriques et des téléphériques. Ceux-ci par ailleurs ont des conséquences négatives sur la faune ; les rapaces, par exemple, s’électrocutent sur les lignes à haute tension et se blessent contre les câbles des remonte- pente… dans le brouillard.
La migration touristique a eu aussi un une forte influence sur l’eau et l’air, car les populations touristiques sont trop nombreuses pour les capacités et les ressources de l’espace montagnard. En effet, les cours d’eau sont surexploités en période touristique. Il est de même difficile de retraiter l’eau en altitude à cause du froid et du gel en hiver, et quand bien même, les équipements en période de forte affluence sont saturés et souvent une partie des eaux ne peut pas être dépolluée alors qu’ils ne fonctionnent qu’à 10% de leur capacité hors saison.
Le réchauffement climatique
Pour terminer, le réchauffement climatique a des conséquences importantes sur les espaces montagnards et les activités touristiques. Il entraine tout d’abord la remontée des pâturages pour le bétail et la faune en élevant l’ensemble des étages alpins. Aujourd’hui dans les Préalpes, les stations de basse altitude manquent de neige et ont donc du mal à être rentables. Seules les grandes stations d’altitude le sont et pourront continuer longtemps, comme l’Alpes d’Huez par exemple. Pour les autres, la solution passe par la neige de culture ; mais là encore, ce n’est pas sans conséquences. Il faut trouver de nouvelles ressources en eau et les stocker. Or les pentes des lacs artificiels sont souvent très raides et les animaux s’y noient, y compris les grenouilles. Les bâches foncées utilisées pour les réservoirs créent une chaleur excessive en été à cause du soleil et cela tue les têtards qui y vivent. La station de Chamrousse en particulier possède un bassin très dangereux pour les animaux. Pour produire cette neige artificielle, on utilise des produits chimiques ou des pollens pour la stabiliser et la rendre plus résistante aux températures élevées. Mais on s’est aperçu que les pollens des canons à neige augmentaient les risques d’allergie chez les enfants des communes concernées.
Vers un tourisme durable ?
Aujourd’hui une nouvelle forme de tourisme émerge et se développe, plus enclin à profiter de la nature en l’observant et en la respectant. L’agriculture, qui n’est plus forcément l’activité dominante dans certaines régions montagnardes, délaisse des terres agricoles difficiles d’accès qui sont progressivement abandonnées avec environ 800 hectares qui disparaissent par an. Le point positif est qu’il y a une augmentation de la forêt même si celle-ci n’est pas toujours entretenue. La chasse et le braconnage ont aussi beaucoup régressé dans toutes les Alpes ce qui, là encore, a eu un effet bénéfique. Ainsi le gibier a recommencé à se multiplier : cerfs, sangliers, chevreuils reconquièrent progressivement des territoires d’où ils avaient disparu. L’homme accompagne ce processus en réintroduisant certaines espèces autrefois menacées comme le mouflon, le bouquetin… ainsi la population des grands animaux augmente. Cela a un autre effet positif : celui du retour des prédateurs, que ce soit les loups venus d’Italie où ils sont protégés ou le lynx réintroduit en Suisse, en Allemagne et en France et qui redescend actuellement dans les Alpes du Sud. Les vautours, eux aussi, connaissent des campagnes de réintroduction comme dans les Baronnies et le Verdon, à l’exemple du gypaète barbu, du vautour fauve ou du vautour-moine. La « contre offensive » du tourisme écologique soutient ces actions, en visitant les différents parcs nationaux comme le Mercantour qui sont des alternatives aux stations intégrées des Alpes en conservant la nature et l’habitat naturel de la faune. Des réserves naturelles ont été créées pour protéger des espaces naturels fragiles ; un tourisme « plus nature » qui valorise ce patrimoine est donc en plein essor. Cela d’autant plus qu’il faut savoir qu’aujourd’hui l’équipement des domaines skiables devient excessivement cher et que certaines stations ne sont plus rentables. Donc plusieurs stations sont maintenant orientées vers le côté écologique comme, par exemple, dans les Abruzzes en Italie. Un parc national a été créé après le dernier grand tremblement de terre en 2009. Plusieurs villages ont construit des enclos pour observer des loups, lynx, cerfs, chamois…. Le tourisme se développe car les populations viennent voir ces animaux en enclos pour ensuite aller observer la faune dans le reste du parc. En Bavière (Allemagne) un parc national a mis en place un espace animalier gratuit (à l’exception du parking). Une ballade de 17 km a été proposée permettant, de nuit comme de jour, d’observer la faune et la flore à l’aide de guides qui font visiter le site et l’expliquent aux gens.
Ainsi J.F Noblet, au terme de sa « balade », a permis aux élèves de notre classe de prendre conscience de l’influence du tourisme de masse sur les écosystèmes alpins en particulier. S’il n’est pas la seule cause de nombreuses atteintes à l’environnement et au mode de vie traditionnel montagnard, il en est néanmoins une cause majeure. Mais on constate qu’une nouvelle forme de tourisme plus respectueuse de l’environnement et soucieuse de la préservation de notre patrimoine naturel, est en train de se développer. Il reste donc, semble-t-il, de l’espoir pour qu’un jour l’on puisse parler du tourisme sous l’angle de la durabilité.
Vous pouvez découvrir le blog de Jean-François Noblet sur : http://ecologienoblet.fr/ et lire son livre La nature au café du commerce : Préjugés et lieux communs sur la faune et la flore (Broché – 3 octobre 2013)
Arthur Poulat de 2nde 7
Cet article a été écrit en lien avec les cours d’EMC (N. Mergoux) et l’EDD (C. Lecocq-Hubert)
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