Qu’est-ce que la philosophie ? Qui est Autrui ? Qu’est-ce que la vulnérabilité ? Ce sont les questions auxquelles Monsieur Le Blanc a répondu, le vendredi 21 novembre à la médiathèque de Villefranche sur Saône. Le philosophe et écrivain français, professeur de philosophie à l’Université Michel de Montaigne/Bordeaux III, a participé cette année au festival Mode d’emploi.
C’est en effet la troisième année, que le festival Mode d’Emploi, conçu par la Villa Gillet, fait de la Région Rhône-Alpes un lieu d’échanges, de débats et d’idées au croisement des arts, de la littérature et des sciences humaines.
Pour cette édition 2014, Guillaume le blanc a donc répondu aux questions d’une étudiante de Lyon III devant plusieurs classes de lycée. La question principale de cette rencontre était donc « Que faire de notre vulnérabilité ? » – Guillaume Le Blanc y répond dans son ouvrage publié aux éditions Bayard en 2011 –
« La philosophie nait de l’intolérable »
La philosophie détourne nos regards. Guillaume le Blanc explique, que chacun d’entre nous commence à philosopher lorsqu’il se retrouve bouleversé par l’état du monde dans lequel il vit. Il est vrai que la pensée philosophique nait d’un contexte, d’une période précise ; qu’importe le contexte, chaque période a sa propre problématique. Comme disait Marx, les philosophes ne poussent pas comme des champignons. Notre histoire est composée de changements, de révolutions, ce sont les évolutions des superstructures de chaque société qui permettent l’existence de notre histoire.
La philosophie serait donc une prise de conscience du monde, une prise de conscience de soi. L’homme commence à philosopher lorsqu’il prend conscience de ce qu’il pensait être normal, ce qu’il pensait aller de soi. La philosophie est donc un outil qui nous permet de pointer du doigt l’intolérable auquel chacun d’entre nous s’habitue. Le philosophe n’apporte pas la réponse unique et indubitable au problème : il est là pour nous poser les bonnes questions, et par exemple, nous faire comprendre qu’il y a bel et bien une vulnérabilité.
« Qui sont les autres ? »
D’un côté il y a les uns, et d’un autre côté, les autres. Qui sont-ils? « L’autre » est un moyen de marquer une différence. Pourtant, Platon disait que chacun d’entre nous aurait une catégorie de l’autre en soi. Autrui, c’est l’autre moi, et dire « l’autre » c’est altériser cet autre moi. Dire « l’autre » c’est éloigner autrui de moi-même.
Nous vivons tous dans un monde commun, un monde varié. Ce monde est donc fait de sujets différents. Le problème ici est de faire une différence entre, les autres et les différents. Dans notre société il est plus fort d’utiliser le terme « autre» que le terme « différent». Le différent aurait pu être moi, un moi différent, l’autre ne peut pas être moi. Ici ce se justifie le dicton « qui se ressemble s’assemble ». Et l’illustration des quartiers s’y prête très bien, on observe la séparation entre les quartiers huppés, les quartiers populaires, et les ghettos.
« Comment faire quelque chose pour moi, dans le monde des autres ? »
La question alors, serait « qu’est-ce qu’exister ? », comment exister dans le monde des autres ? C’est parvenir à faire quelque chose pour soi dans le monde des autres. Dans le travail il s’agirait de produire. Mais produire quelque chose pour les autres ? Est-ce que ça vaut le coup pour moi ? Est-ce que je peux le considérer comme quelque chose que je ferais pour moi ? Chaplin nous montre la vie de Charlot, qui travaille, mais qui ne se reconnait pas dans son travail. Il n’y a aucun intérêt.
Le travail en réalité devrait avoir une fonction anthropologique, l’homme devrait se produire lui-même en produisant, se construire lui-même en travaillant. Cependant il est impossible de faire une vie pour soi sans les autres, L’homme est dépendant du regard des autres.
« Il y a le précaire et l’exclu »
La condition humaine est la capacité à être blessé et à répondre à cette blessure. Être en bonne santé c’est tomber malade et s’en relever. Guillaume Le Blanc explique que la blessure peut être physique ou psychique. Certaines vies sont fragilisées socialement, et certaines blessures psychologiques sont irréversibles. Certaine blessures débouchent sur l’exclusion.
Michel Foucault disait que pour inclure il fallait exclure. Il y a des normes et des lois. La norme est la règle qui incite à agir. Mais que faut –il faire pour être dans la norme ? On peut la définir grâce à trois critères ; le travail, les biens, la famille.
Le sans-domicile-fixe est privé de toutes ses propriétés sociales c’est à dire de travail, de biens et de famille. Il est un exclu de la société, il n’est plus dans la norme. L’exclusion est une contradiction sociale. Oui mais, parlons du précaire, le précaire n’est pas exclu, il ne manque au précaire qu’une propriété, qu’une valeur sociale. Un précaire est un chômeur, mais ce chômeur possède une maison et une famille.
Ce qui fait d’un précaire un exclu, c’est ce qui se passe entre les deux. De la précarité débouche l’exclusion, ou une fragilisation de la personne. Il y a en effet une cascade de l’exclusion. À partir d’un certain stade le précaire devient exclu, on ne le voit plus on ne l’entend plus, il est sans voix (et non sans dents !).
« Qu’est ce qui fait cette précarité ? »
La précarité est attachée à la vulnérabilité. Nous sommes vulnérables car nous sommes attachés au regard des autres. Moins l’homme a confiance, plus il a besoin du regard des autres. Plus l’homme est exclu, moins il a confiance en lui, et plus il dépend du regard des autres. Ici nait la vulnérabilité.
Je suis vulnérable si je dépends d’autrui. Hélas dans ce processus, si l’homme est exclu, l’homme est sans voix, il est invisible, et il ne trouvera pas cette reconnaissance dont il a besoin.
« Nous sommes tous des vulnérables »
Aucune vie ne peut se soustraire à la blessure ou à la vulnérabilité. Nous sommes obligatoirement blessés lorsque nous existons. A partir de ce moment l’homme a deux capacités de réponse à la blessure : la violence et la non-violence.
L’homme doit accepter la part de violence qu’il y a en lui. Cette violence est naturelle, et l’homme l’inflige à celui qui l’a blessé. Que faire de cette part de violence qui est en nous ? L’autre solution serait de se détourner de cette blessure, en répondant par la non-violence, en vivant avec la blessure.
Certaines blessures sont quasi mortelles car elles fragilisent la réponse à la blessure elle-même. En effet la capacité de réponse peut être atteinte. L’extrême blessure, l’extrême vulnérabilité se trouve alors là, lorsque l’homme n’a plus la capacité de répondre, ni violemment ni non violemment. Et on qualifie alors cette blessure d’attaque de la personne en elle-même.
Cette belle et précieuse rencontre avec Guillaume Le Blanc a eu lieu à la médiathèque de Villefranche Sur Saône le 21/11/2014 dans le cadre des cours de philosophie de Mme Lecocq Hubert.
Margaux Gaudriot TL
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