Deux heures avec une femme d’exception

Deux heures avec une femme d'exception 1

Dans le cadre des cours de philosophie et d’économie, la classe de T°L-ES2 a eu la chance, et surtout l’honneur, de rencontrer Cécile Renouard lors d’une conférence au CDI.

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Sœur Cécile est une religieuse de l’Assomption, diplômée de l’ESSEC et docteur en philosophie ; elle a d’ailleurs écrit plusieurs ouvrages dont Éthique et Entreprise (1)Depuis plus de 20 ans, elle s’interroge sur la responsabilité des grandes entreprises quant à la justice sociale, sur l’importance du lien social et du bien-être au travail, sur la compatibilité entre le rendement et le développement durable. C’est pour répondre à ces interrogations qu’elle parcourt le monde et pousse les portes des plus grandes multinationales.

Sœur Cécile fait partie de cette catégorie de personnes qui se définissent par leurs actes. Les premiers mots qu’elle nous a dits sont : n’attendez pas pour changer les choses qui ne vous conviennent pas et surtout, n’attendez pas d’ordres « d’en haut». Ce ne furent pas des paroles dans le vent et sans réel fondement. Pour les besoins de sa thèse, elle est partie en Afrique, notamment au Nigeria. Là-bas, elle a enquêté sur le terrain dans des firmes internationales telles que Lafarge ou Unilever. Elle s’intéresse à l’impact qu’ont ces entreprises sur le développement des populations et des pays où elles sont installées. Elle nous dit qu’à l’époque, quand elle a frappé aux portes de ces grandes entreprises, elle l’a fait naïvement, sans penser qu’elle pourrait trouver portes closes. Aujourd’hui, elle pense que c’est son statut de religieuse qui l’a aidée à entrer dans l’intimité de ces châteaux-forts car les responsables de ces multinationales lui ont fait confiance.

Actuellement, elle dirige un programme de recherche à l’ESSEC nommé CODEV « entreprise et développement ». Ce programme de recherche est transversal, il mêle l’économie, l’anthropologie, la sociologie, la philosophie et des matières plus scientifiques. Le programme prend en compte des aspects techniques et humains car il faut associer plusieurs axes de réflexion pour repenser le modèle actuel et chercher des modèles plus justes et plus durables. Il s’agit de trouver à plusieurs dans le cadre de choix et de libertés personnelles à exercer, d’autres critères d’évaluation de nos actions, ce qui est assez rare. La plupart du temps, le développement durable n’est vu que par un seul prisme, soit économique, soit social, soit écologique. Pour en revenir au programme de recherche, son fil conducteur est la qualité du lien social et du bien-être des populations. Ces deux critères sont la base d’un bon développement social et économique d’un pays car, quand une population se sent bien, elle a plus envie d’investir dans son pays pour le faire progresser.

Kant disait « Agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen ». Pour Cécile Renouard, nous avons tous une richesse intérieure, chaque vie a un prix, et chaque être est unique et irremplaçable. Mais comment pouvons-nous organiser nos sociétés afin que chacun ait sa place? Comment associer ces principes moraux aux entreprises qui considèrent, souvent, leurs salariés comme des moyens pour produire plus et gagner plus ? Pour évaluer si les grandes entreprises agissent pour la qualité du lien social, l’écosystème et les générations suivantes, le programme CODEV a mis en place un indicateur de capacités relationnelles qui comporte trois dimensions :

– pouvoir être en relation avec d’autres (relation humaine, moyens de transport, moyens d’information) ;

– pouvoir entretenir une relation privée (ressentir et donner de l’amour, de l’amitié, avoir confiance dans sa famille ou ses amis et pouvoir recevoir de l’aide) ;

– pouvoir s’engager civiquement (faire partie d’associations, pouvoir voter, faire des travaux d’intérêts collectifs ou pouvoir avoir confiance en des inconnus).(2)

Ces critères peuvent nous paraître simplistes mais au Nigeria par exemple, presque aucun d’entre eux n’a été validé. En effet, à cause des activités pétrolières mal gérées, de son économie vulnérable aux chocs climatiques et aux fluctuations des cours des matières premières, de sa forte croissance démographique et de son insécurité face aux conflits religieux, les relations interpersonnelles nigérianes se sont dégradées.

La transition de notre monde doit donc se faire au bénéfice du lien social et écologique. Cet horizon est obligatoire pour nos sociétés mais, contrairement à ce que l’on nous montre, il y a énormément de solutions. Comme l’a dit C. Renouard, il faut que le changement vienne d’en-bas et pour cela, il faut d’abord analyser notre propre situation et relativiser :suis-je moi-même en qualité de relation avec les autres ? Quel est mon rapport à l’argent ?Elle nous a relaté l’expérience d’un jeune doctorant qui travaille avec elle et qui a préféré faire une thèse, ce qui lui plaisait, plutôt que de gagner le salaire mirobolant promis par son école.Pourquoi ne pas compter autrement ce qui compte ? Quel est mon rapport à la technologie ? Suis-je autonome face à mes appareils ou dépendant ? Ces appareils me sont-ils utiles ?

Chacun a des richesses inouïes et uniques qu’il convient de partager. Aussi, n’attendons plus pour associer nos capacités d’initiative !

Cécile Renouard a terminé son intervention en citant Gandhi : « Sois le changement que tu veux pour le monde ».

 

Jade Radisson et Estelle Leblond T°L,

Cet article a été écrit dans la cadre du cours de philosophie de C. Lecocq Hubert en lien avec la pastorale.

 

(1)Cécile Renouard, Ethique et entreprise, Editions de l’Atelier, 2015.

(2) http://irene.essec.edu/codev/relational-capability-index-rci

L’humain face aux défis climatiques

l'humain face aux défis

Le mercredi 4 mai, tous les élèves de terminale ont eu la chance de rencontrer Frédéric Baule à l’occasion d’une conférence ayant pour sujet « L’humain face aux défis climatiques ».

Ancien trader pétrolier, Frédéric Baule est aujourd’hui directeur-conseil en gestion des risques de marchés pour une société pétrolière, mais également un économiste spécialiste des marchés de d’énergie. Après avoir exercé diverses responsabilités tout au long de la chaîne d’approvisionnement pétrolière, de 2000 à 2011 il a dirigé l’entité « Risk Management Services » de Total Oil Trading SA, fournissant des solutions de marché aux filiales et aux partenaires commerciaux de Total, pour réduire leurs expositions à la volatilité des prix du pétrole, sur tous types de marchés pétroliers à travers le monde. A ce titre il a piloté en France la définition de solutions adaptées aux problématiques spécifiques de la filière de la pèche.

Sa reconversion professionnelle a pour élément déclencheur une expérience personnelle qu’il a partagée avec nous. En effet, c’est en rencontrant des pêcheurs en 2008 qu’il a pris conscience que son métier avait un impact sur des milliers de personnes. Le prix du baril de pétrole dépasse alors le seuil des 135 dollars. Cette augmentation considérable touche les produits pétroliers plus raffinés comme le diesel et l’essence, dont le prix n’arrête pas de battre des records. Lorsque le coût du pétrole devient trop élevé, de nombreux pêcheurs ne peuvent plus mettre de carburant dans leurs bateaux et donc travailler. Ils se retrouvent alors sans revenu. Cette expérience de la rencontre de l’autre sans médiation, cette relation « je-tu » dont parle le philosophe Lévinas dans ses œuvres, bouleverse Frédéric Baule qui prend conscience que ces jeux boursiers ont des conséquences sur des hommes en chair et en os. Nous sommes responsables de nos actes et portons la responsabilité d’autrui. A la suite de cette rencontre, il s’est reconverti afin de consacrer sa vie à chercher des solutions pour que les hommes ne soient plus dépendants des fluctuations du marché pétrolier. C’est donc logiquement qu’il s’est intéressé aux énergies renouvelables puis au défi climatique auquel nous faisons face.

Frédéric Baule a récemment écrit un livre en collaboration avec Xavier Becquey et Cécile Renouard , religieuse de l’Assomption, s’intitulant L’Entreprise au défi du climat dont voici le début de la 4ème de couverture :

« Les modèles économiques fondés sur une consommation sans cesse plus grande d’énergie fossile provoquent une hausse des températures qui menace la vie même de la planète. Face à ce défi climatique et à l’épuisement de l’ensemble des ressources fournies par la Terre, les entreprises sont placées devant un dilemme : faut-il attendre une invention scientifique qui résoudrait comme par miracle le problème, laisser les états et les ONG réparer les dégâts d’une production qui n’aurait pas les moyens de se décarboner, ou commencer dès maintenant à agir au sein même des lieux où se crée la richesse ? »

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Il nous a interpellés, futurs bacheliers, sur notre future orientation professionnelle : « Comment rejoindre le monde du travail tout en se posant des questions morales et politiques sur le sens nos actes ? « Et moi, que puis-je faire ? » Il y a un vrai sujet de réflexion à avoir sur la participation de l’ensemble de la population au niveau des efforts à mener collectivement et individuellement. Nous avons tous un intérêt commun,  la protection de la nature mais nous ne travaillons pas en commun ! Jusqu’où allons-nous laisser l’intérêt économique l’emporter sur la vérité ? Comment peut-on, sur le marché du travail, rester en cohérence avec son entreprise et avec soi-même ?

Lors de la conférence, Frédéric Baule a abordé la question de l’humain et du défi climatique. Il nous a permis de nous interroger sur les conditions dans lesquelles les générations futures et nous-mêmes, allons vivre sur la Terre, qu’il appelle notre « maison commune« . Notre mode de vie a considérablement changé en moins d’un siècle et Frédéric Baule l’a illustré par de nombreux exemples :

  • En 1946, seulement 25% des français possèdent des WC et 10% des douches ou baignoires
  • En 1954, 7,5% possèdent un réfrigérateur et 1% la télévision
  • La France comptait 87000 épiceries en 1966 alors qu’en 2006, elles n’étaient plus que 14100
  • En 1957, il y avait 1 supermarché alors qu’aujourd’hui, il y en a 10500 auxquels s’ajoutent les 2000 hypermarchés.

Chaque pays, chaque continent a ses propres problèmes à régler (ce peut-être simplement avoir de la lumière pour faire ses devoirs en Afrique) et l’homme doit inventer des solutions technologiques tout en suivant une trajectoire verte car la situation climatique l’a mis au pied du mur. Nous devons trouver collectivement les moyens de vivre sobrement. Dans ce cadre, notre conférencier nous a également rappelé les accords de Paris signés le 22 avril dernier par 175 pays lors de la COP 21. Il s’agit de limiter la hausse de la température moyenne du globe à 2°C. Si nous ne parvenons pas à limiter celle-ci et qu’elle augmente de 5,6°C, les conséquences seront désastreuses.  Il est grand temps de développer les énergies renouvelables car, pour le moment, il est impossible de remplacer à 100% les énergies fossiles par des énergies vertes.

Frédéric Baule considère que la croissance démographique n’est pas un problème car nous avons les ressources nécessaires pour nourrir tout le monde. En réalité, c’est la gestion, l’organisation  et la répartition de ces ressources qu’il faut revoir.

Au cours de cette conférence, il a cité différents philosophes de notre programme tel Descartes avec son célèbre « Je pense donc je suis » qu’il commente en disant que la question aujourd’hui n’est pas de penser ni d’être mais de pouvoir. De même, il a fait référence à Hans Jonas et son principe de responsabilité “Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre

Frédéric Baule a conclu en disant  » On peut faire de notre planète quelque chose de plus beau que ce que l’on nous a laissé « .

Zoé, Terminale L

Cette conférence a été organisée par Catherine Liénard, religieuse de l’Assomption, en lien avec la pastorale, l’EDD et les cours de philosophie (J.P Coumel et C.Lecocq)

Conférence de l’auteur Pierre Péju

Conférence de l’auteur Pierre Péju 1

La classe de première ES1 a pu rencontrer Pierre Péju, auteur de plus de vingt livres dont La Petite Chartreuse (2003) pour lequel il a obtenu le prix du livre Inter et le prix Rosine-Perrier, Le rire de l’ogre (2005, prix du roman Inter), L’état du Ciel (2013) et Pourquoi moi je suis moi (2014).

Le 22 avril, cette conférence/rencontre s’inscrivait dans le projet d’Éducation au Développement Durable, subventionné par la Région, et consacré cette année à la montagne.

Pierre Péju a été professeur de philosophie notamment à la Sorbonne à Paris et dans l’établissement international Stendhal à Grenoble. Cependant, il a préféré se consacrer à l’écriture d’ouvrages. Il nous a d’ailleurs confié que ces deux activités étaient incompatibles par manque de temps.

Son envie d’écrire s’explique par son désir de faire réfléchir les hommes sur des thématiques diverses et variées : le devenir d’une personne, le destin, le bonheur, l’enfance ou encore, les obstacles que l’on peut rencontrer dans la vie. Ainsi, il nous dit « les histoires que je raconte ou que j’imagine sont porteuses de questions ». Pierre Péju, au travers de celles-ci, nous apparaît alors comme un écrivain qui se situe entre le romanesque et la philosophie. Pour permettre au lecteur une projection ou une identification avec «les protagonistes de ses histoires », Pierre Péju fait un travail d’approfondissement sur la psychologie de ses personnages et la cohérence de son récit pour le rendre plausible et proche de la réalité.

De plus, Pierre Péju laisse une place à part entière à la nature et, plus particulièrement à la montagne. Cette nécessité de citer la montagne dans ses récits provient d’une passion qui naît lorsqu’il s’installe aux abords de la Chartreuse, non loin de la ville de Grenoble. La montagne a provoqué en lui une réelle inspiration au travers de  multiples escapades dans ce lieu qu’il décrit comme  «beau» et avec un «sentiment profond du temps». En effet, pour lui,  la montagne change d’aspect à chaque heure et chaque saison.

Dans ses romans, il ne cherche pas simplement à faire apparaître la montagne comme un décor de fond, mais bel et bien comme une personnalité propre. Ainsi, pour cet auteur, la montagne a un rôle réel de par son aspect physique rocheux mais aussi  un rôle symbolique de par la spiritualité qu’elle dégage. Selon P. Péju, les hommes entretiennent un rapport spécifique avec la montagne car c’est un lieu de solitude qui ramène l’Homme à sa petitesse.

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A la suite de cette explication sur le rapport qu’entretient Pierre Péju avec la montagne, nous avons eu l’occasion d’échanger avec lui et donc  de lui poser plusieurs questions :

– «le livre La Petite Chartreuse est-il inspiré de faits réels ?»

La réponse de Pierre Péju est non. Sa création faisait partie d’un cahier des charges qu’il s’était imposé à lui-même. Il fallait qu’il y ait un enfant, un homme et une femme, ne faisant pas partie d’un schéma familial. Ainsi, c’est son intuitivité qui a servi à créer l’histoire qui se termine tragiquement.  En anecdote par exemple, l’adaptation au cinéma de La Petite Chartreuse n’a pas respecté le dénouement de l’histoire car les distributeurs ne souhaitaient pas une fin aussi tragique.

– « Est-ce vous qui créez la quatrième de couverture ? »

Non. Ce n’est pas Pierre Péju qui a fait la quatrième de couverture pour la collection de poche.

« Être écrivain, est-ce une vocation ou un apprentissage ? »

Pour lui, être écrivain correspond à une vocation mais aussi, par un investissement et donc un apprentissage très intense. Lorsque l’on est écrivain selon Péju, on pense tout le temps à écrire par passion.

« Attachez-vous une certaine importance à évoquer des faits d’actualité dans vos livres ? »

Oui. Pour lui, l’actualité permet de rendre compte des choses et donne une réalité au livre. De plus, cela intervient pour donner une sensibilité aux personnages et les rendre plus crédibles. Cela permet également aux personnages d’évoluer en fonctions des évènements qu’ils subissent.

« Pourquoi avez-vous choisi d’écrire des romans alors que la philosophie était votre domaine de prédilection ? »

Pierre Péju a une attirance pour l’art de l’écriture et une aisance dans le genre romanesque. Cependant, il a le souci de débattre et de poser des questions. Pour lui, la philosophie passe par le fait de réfléchir tout en racontant.

« Dans La Petite Chartreuse, un passage a retenu notre attention vis-à-vis de l’ange qui arrive sur terre en profitant de la mort d’une personne. Cela crée un paradoxe puisque les anges ont pour but de faire le Bien, cet ange ne devrait donc pas avoir d’effets néfastes sur la vie d’une personne. Qu’en pensez-vous ? »

Pierre Péju trouve cette question extrêmement intéressante. Il ne pensait pas du tout à cette façon d’interpréter ce passage. Cette question prenait donc part dans la logique d’une interprétation personnelle. Chaque lecteur peut donc déduire de l’histoire des interprétations auxquelles l’auteur n’avait pas forcément pensé.

– « La Chartreuse est-il un lieu de prédilection pour vous ? »

De nombreux paysages ont retenu son attention dans ces randonnées dans la Chartreuse. Cependant, une de ses visites lui a particulièrement plu : le Prieur de Salaise. Il a trouvé ce lieu absolument intéressant puisqu’il a pu vivre en inclusion dans une cellule de monastère. Il a aussi été charmé par les chants qu’il entendait. Cette ambiance lui a permis d’écrire et avoir beaucoup d’inspiration par la connivence avec la montagne.

A la suite de cette interview, nous avons eu droit à une séance de dédicaces.

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Cette conférence nous a donc permis de mieux appréhender la montagne à travers l’écriture et la vision d’un écrivain, mais également de mettre en relation une étude faite en classe avec une approche plus concrète.

Sarah Tourneur, Julien Grisoni

Ce travail a été réalisé dans le cadre d’un projet interdisciplinaire sur la montagne, en lien les cours de français (C. Rivoire) et l’EDD (C. Lecocq Hubert), et avec le soutien financier de la Région.

Solidarité locale. Conférence de Guillaume Le Blanc : Que faire de notre vulnérabilité ?

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Qu’est-ce que la philosophie ? Qui est Autrui ? Qu’est-ce que la vulnérabilité ? Ce sont les questions auxquelles Monsieur Le Blanc a répondu, le vendredi 21 novembre à la médiathèque de Villefranche sur Saône. Le philosophe et écrivain français, professeur de philosophie à l’Université Michel de Montaigne/Bordeaux III, a participé cette année au festival Mode d’emploi.

C’est en effet la troisième année, que le festival Mode d’Emploi, conçu par la Villa Gillet, fait de la Région Rhône-Alpes un lieu d’échanges, de débats et d’idées au croisement des arts, de la littérature et des sciences humaines.
Pour cette édition 2014, Guillaume le blanc a donc répondu aux questions d’une étudiante de Lyon III devant plusieurs classes de lycée. La question principale de cette rencontre était donc « Que faire de notre vulnérabilité ? » – Guillaume Le Blanc y répond dans son ouvrage publié aux éditions Bayard en 2011 –

« La philosophie nait de l’intolérable »

La philosophie détourne nos regards. Guillaume le Blanc explique, que chacun d’entre nous commence à philosopher lorsqu’il se retrouve bouleversé par l’état du monde dans lequel il vit. Il est vrai que la pensée philosophique nait d’un contexte, d’une période précise ; qu’importe le contexte, chaque période a sa propre problématique. Comme disait Marx, les philosophes ne poussent pas comme des champignons. Notre histoire est composée de changements, de révolutions, ce sont les évolutions des superstructures de chaque société qui permettent l’existence de notre histoire.
La philosophie serait donc une prise de conscience du monde, une prise de conscience de soi. L’homme commence à philosopher lorsqu’il prend conscience de ce qu’il pensait être normal, ce qu’il pensait aller de soi. La philosophie est donc un outil qui nous permet de pointer du doigt l’intolérable auquel chacun d’entre nous s’habitue. Le philosophe n’apporte pas la réponse unique et indubitable au problème : il est là pour nous poser les bonnes questions, et par exemple, nous faire comprendre qu’il y a bel et bien une vulnérabilité.

« Qui sont les autres ? »

D’un côté il y a les uns, et d’un autre côté, les autres. Qui sont-ils? « L’autre » est un moyen de marquer une différence. Pourtant, Platon disait que chacun d’entre nous aurait une catégorie de l’autre en soi. Autrui, c’est l’autre moi, et dire « l’autre » c’est altériser cet autre moi. Dire « l’autre » c’est éloigner autrui de moi-même.
Nous vivons tous dans un monde commun, un monde varié. Ce monde est donc fait de sujets différents. Le problème ici est de faire une différence entre, les autres et les différents. Dans notre société il est plus fort d’utiliser le terme « autre» que le terme « différent». Le différent aurait pu être moi, un moi différent, l’autre ne peut pas être moi. Ici ce se justifie le dicton « qui se ressemble s’assemble ». Et l’illustration des quartiers s’y prête très bien, on observe la séparation entre les quartiers huppés, les quartiers populaires, et les ghettos.
« Comment faire quelque chose pour moi, dans le monde des autres ? »
La question alors, serait « qu’est-ce qu’exister ? », comment exister dans le monde des autres ? C’est parvenir à faire quelque chose pour soi dans le monde des autres. Dans le travail il s’agirait de produire. Mais produire quelque chose pour les autres ? Est-ce que ça vaut le coup pour moi ? Est-ce que je peux le considérer comme quelque chose que je ferais pour moi ? Chaplin nous montre la vie de Charlot, qui travaille, mais qui ne se reconnait pas dans son travail. Il n’y a aucun intérêt.
Le travail en réalité devrait avoir une fonction anthropologique, l’homme devrait se produire lui-même en produisant, se construire lui-même en travaillant. Cependant il est impossible de faire une vie pour soi sans les autres, L’homme est dépendant du regard des autres.

« Il y a le précaire et l’exclu »

La condition humaine est la capacité à être blessé et à répondre à cette blessure. Être en bonne santé c’est tomber malade et s’en relever. Guillaume Le Blanc explique que la blessure peut être physique ou psychique. Certaines vies sont fragilisées socialement, et certaines blessures psychologiques sont irréversibles. Certaine blessures débouchent sur l’exclusion.
Michel Foucault disait que pour inclure il fallait exclure. Il y a des normes et des lois. La norme est la règle qui incite à agir. Mais que faut –il faire pour être dans la norme ? On peut la définir grâce à trois critères ; le travail, les biens, la famille.
Le sans-domicile-fixe est privé de toutes ses propriétés sociales c’est à dire de travail, de biens et de famille. Il est un exclu de la société, il n’est plus dans la norme. L’exclusion est une contradiction sociale. Oui mais, parlons du précaire, le précaire n’est pas exclu, il ne manque au précaire qu’une propriété, qu’une valeur sociale. Un précaire est un chômeur, mais ce chômeur possède une maison et une famille.
Ce qui fait d’un précaire un exclu, c’est ce qui se passe entre les deux. De la précarité débouche l’exclusion, ou une fragilisation de la personne. Il y a en effet une cascade de l’exclusion. À partir d’un certain stade le précaire devient exclu, on ne le voit plus on ne l’entend plus, il est sans voix (et non sans dents !).

« Qu’est ce qui fait cette précarité ? »

La précarité est attachée à la vulnérabilité. Nous sommes vulnérables car nous sommes attachés au regard des autres. Moins l’homme a confiance, plus il a besoin du regard des autres. Plus l’homme est exclu, moins il a confiance en lui, et plus il dépend du regard des autres. Ici nait la vulnérabilité.
Je suis vulnérable si je dépends d’autrui. Hélas dans ce processus, si l’homme est exclu, l’homme est sans voix, il est invisible, et il ne trouvera pas cette reconnaissance dont il a besoin.

« Nous sommes tous des vulnérables »

Aucune vie ne peut se soustraire à la blessure ou à la vulnérabilité. Nous sommes obligatoirement blessés lorsque nous existons. A partir de ce moment l’homme a deux capacités de réponse à la blessure : la violence et la non-violence.
L’homme doit accepter la part de violence qu’il y a en lui. Cette violence est naturelle, et l’homme l’inflige à celui qui l’a blessé. Que faire de cette part de violence qui est en nous ? L’autre solution serait de se détourner de cette blessure, en répondant par la non-violence, en vivant avec la blessure.
Certaines blessures sont quasi mortelles car elles fragilisent la réponse à la blessure elle-même. En effet la capacité de réponse peut être atteinte. L’extrême blessure, l’extrême vulnérabilité se trouve alors là, lorsque l’homme n’a plus la capacité de répondre, ni violemment ni non violemment. Et on qualifie alors cette blessure d’attaque de la personne en elle-même.

Cette belle et précieuse rencontre avec Guillaume Le Blanc a eu lieu à la médiathèque de Villefranche Sur Saône le 21/11/2014 dans le cadre des cours de philosophie de Mme Lecocq Hubert.

Solidarité locale. Conférence  2

Margaux Gaudriot TL

Un monde possible ?

Rencontre avec Cécile Renouard

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Elle parle d’une voix posée, calme. Elle se présente, Cécile Renouard, sœur Cécile. Elle incarne cet impératif sartrien, de l’individu qui se définit par ses actes, par les choix qu’elle a posés. De formation commerciale (diplômée de l’ESSEC), elle a décidé après un tour du monde de « chercher son bonheur ailleurs ». C’est à la suite de son séjour en Argentine avec l’Assomption au sein des favelas, puis d’un questionnement intense durant le Pèlerinage de Chartres, qu’elle s’est orientée vers le choix d’une vie religieuse. Et si elle choisit l’Assomption, c’est parce qu’elle y a trouvé, un équilibre entre l’engagement dans la société et la prière. Partie pour Bordeaux après son noviciat, Sœur Cécile entame une licence de philosophie. Elle enseigne quelque temps puis part pour le centre Sèvres (Facultés Jésuites de Paris) où elle poursuit des études de théologie avant d’entamer un doctorat de philosophie politique à l’EHESS.
C’est ici que tout commence. Pour les besoins de sa thèse, sœur Cécile part pour l’Afrique et notamment pour le Nigeria et le Kenya. Elle entame des enquêtes de terrains poussées au sein de grandes firmes internationales (Michelin, Total, Unilever, Lafarge) étudiant leur impact sur la vie des populations. Avec le recul, elle se définit comme d’une grande naïveté, d’être allée démarcher ces firmes sans penser un seul instant qu’elle pourrait trouver portes closes. Et pourtant, sa candeur s’est trouvée payante, beaucoup acceptèrent. Selon elle, son statut de religieuse a énormément aidé. Aujourd’hui et depuis huit ans, elle dirige un programme de recherche, à l’Essec : CODEV « Entreprises et développement ». Dans ce cadre elle a différentes conventions de recherche avec des entreprises comme Total et Danone, et avec l’AFD (Agence Française pour le Développement). Et elle explique : les problèmes entre les différentes régions au Nigeria, du fait d’une manne pétrolière très inégalement répartie ; une minorité qui s’accapare les richesses ; une jeunesse mal formée… Et elle raconte aussi, l’histoire du Tamil Nadu, cette région de l’Inde qui a choisi l’industrialisation à outrance, et le risque de marginalisation de plus en plus exacerbée des Dalits, les plus pauvres.
Sœur Cécile en arrive au cœur de la conférence, et fait remonter une question, celle de la durabilité de notre modèle. Ses travaux nous mettent face à nous-mêmes, à nos incohérences. Nous cherchons à tout prix la croissance économique, la simple augmentation du PIB. Nous sommes à l’image de ce courant des utilitaristes qui affirme que tant que le bien global est assuré, le sacrifice de certains nous importe peu. Comme Descartes le prédisait, nous sommes devenus « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Mais qu’avons-nous fait de la morale ? Nos sociétés se sont bâties sur un paradoxe insoutenable, nous avons ostracisé des régions entières de la mondialisation, à l’échelle du monde mais aussi à l’intérieur même des nations. Tant que nous restons gagnants, pourquoi fermer la boîte de Pandore ? Nous polluons, nous détruisons, mais l’argent rentre, le profit des actionnaires n’a jamais été aussi haut depuis le krach de 1929. Et nous persistons à penser que notre modèle est le plus développé, nous ne nous privons pas de faire la leçon à 1.3 milliards d’Indiens qui souhaitent tous un véhicule. Mais comment être crédibles alors que notre pays compte quatre-vingt-trois voitures pour cent habitants ? Comment pouvons –nous refuser aux pays émergents les fruits d’une croissance productiviste que nous-mêmes avons amplement goûtés ?
« Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », Si nous voulions correspondre à la définition du Développement durable, il faudrait laisser dans nos sols quatre-vingt pour cent des ressources fossiles trouvées aujourd’hui ; ne plus consommer que deux tonnes de CO2 par an et par habitant…Les Etats-Unis en sont déjà à dix-sept tonnes par an et par habitant ! Le constat est donc alarmant, pessimiste… Les acteurs semblent tout aussi incertains. Dans les gouvernements, il n’y a encore aucune univocité quant à la transition écologique et énergétique. Et si quelques entreprises et ONG tentent d’agir, cela ne constitue encore qu’une goutte d’eau dans l’océan.

Alors l’avenir est-il si sombre qu’il n’en a l’air ? Sœur Cécile dit rester confiante. Même si les initiatives restent éparses, elles ont le mérite d’exister et de devenir de plus en plus nombreuses. Elle fait référence à Pierre Rabhi, à ces hommes et ces femmes qui prennent le risque de changer, de penser notre monde autrement. Elle montre que l’argent, fruit de notre capitalisme effréné, n’est pas source de bonheur, ou du moins que partiellement. Elle nous invite, nous la jeunesse à être les acteurs du changement, nous sommes l’avenir.
Cette femme nous amène ainsi sur le terrain d’une réflexion profonde, à la croisée de l’éthique, de la politique, de l’écologie, de l’économie, de la philosophie. Elle nous amène à considérer un changement global de notre système et non porté sur un domaine ciblé. Et nous repartons avec en chacun de nous, l’idée que nous sommes capables d’agir, que nous sommes aptes à changer, à vivre et penser autrement. Sœur Cécile nous invite à considérer notre place d’acteurs pour un monde plus juste et plus moral. Et elle le fait avec toute la générosité, l’humilité et la force qu’elle dégage.

Nous ne pouvons donc terminer que sur cet impératif de Gandhi, « Sois le changement que tu veux pour le monde ».

Cette conférence/rencontre a été organisée dans le cadre des cours de philosophie (C. Lecocq Hubert), de SES (F. Angelot) et en lien avec la pastorale (sœur Catherine).

Corentin Leblond, TES2

Une femme d’exception à Mongré

Rencontre philosophique et sociale au CDI

Dans le cadre des cours de philosophie et d’économie de terminale, les classes de TLES2 et TES1 ont eu la chance de rencontrer Cécile Renouard, lors d’une conférence qui a eu lieu le 22 mars 2012 au CDI.

Cécile Renouard, religieuse de l’Assomption, diplômée de l’ESSEC (grande école de Commerce) et docteur en philosophie est l’auteur de plusieurs ouvrages. Dans ses travaux, elle s’interroge sur la responsabilité sociale et écologique des agents économiques. C’est dans cette démarche interrogative qu’elle parcourt le monde depuis une vingtaine d’années et effectue des enquêtes dans de grandes entreprises.

Une religieuse qui travaille avec Total et Danone étonne ! Pourtant cette démarche est logique sachant que ses recherches ont pour but d’améliorer les relations entre populations locales et entreprises internationales et de contribuer à une réflexion sur les conditions d’un partage durable et équitable de la richesse créée.

C’est à la suite d’études sur le terrain qu’elle a observé que les firmes étrangères s’installent dans un pays en développement sans savoir comment se comporter avec la population locale. Ce problème engendre souvent des différends avec les autochtones en raison des inégalités créées. Mais en quoi consistent ces inégalités et quels problèmes présentent l’implantation des firmes dans des pays en développement? Plusieurs aspects sont ici à prendre en compte: le développement durable (dans toute la complexité du terme) et la responsabilité des entreprises. L’expression « développement durable » comprend ici aussi bien la gestion interne de l’entreprise que son rapport avec ses parties prenantes locales et l’environnement. L’enjeu est donc de taille et les entreprises rencontrent une multitude de problèmes à gérer! Dans leurs rapports aux populations locales, la question est ambiguë: d’une part les entreprises doivent, en s’installant dans un pays, être en règle avec les autorités, et d’autre part elles se doivent de gérer leur intégration dans la société locale. Parfois l’univers de l’entreprise reste très externe à la vie locale, et ne propose guère d’emploi à la population. Des accords sont passés avec l’Etat en question au sujet des mesures sociales, économiques et environnementales à respecter. Dans le cas de pays en voie en développement, l’Etat rencontre parfois des difficultés à imposer aux entreprises des mesures strictes (soit en raison d’une corruption interne à l’Etat soit à cause de la fragilité du gouvernement). Les responsables des firmes – notamment les entreprises extractives – passent dans certains cas des accords à l’amiable avec les dirigeants des différentes communautés, ce qui peut entrainer des pratiques clientélistes qui  engendrent des inégalités de richesse au sein des populations locales et divisent les individus. Même le développement d’infrastructures bénéfiques aux populations peut avoir des effets ambivalents. D’un côté, les écoles ou établissements médicaux sont nécessaires dans ces pays et peuvent être une façon pour ces firmes de se faire accepter par les populations. Mais de l’autre, les entreprises dépassent souvent, dès leur installation, leur domaine de compétence en remplaçant les pouvoirs publics défaillants sans assumer ce qui relève de leur responsabilité à l’égard des conséquences négatives, directes et indirectes, de leur activité : pollution, nuisances, transformations sociales, etc.

Cécile Renouard dénonce l’approche imprécise de ces entreprises lorsqu’elles abordent la question de développement durable. Comment savoir si elles recherchent une croissance durable de leurs activités, gage de maximisation du profit pour les actionnaires, ou une contribution éthique à leur aire d’influence ; quelle est donc la responsabilité de ces firmes ?

Sœur Cécile et ses collègues sont ainsi intervenus au Nigeria, en Indonésie et en Inde dans l’optique d’améliorer les liens entre les populations locales et  les firmes.

Dans le cadre professionnel ainsi que dans sa vie personnelle, Sœur Cécile s’intéresse à la qualité du lien social. Le bonheur et le bien-être sont en effet fortement conditionnés par la qualité des relations humaines. À la suite de ce constat, et dans la ligne de travaux d’économistes et de philosophes comme Amartya Sen et Martha Nussbaum, un nouvel indicateur a été mis au point. Il se base sur des critères innovants et cherche à mesurer la qualité des relations humaines. Nommé « indicateur de Capacité Relationnelle »,  il rappelle que ce qui rend heureux est la qualité des relations humaines.

Dans ses différents ouvrages Cécile Renouard propose avec réalisme et optimisme des solutions alternatives à l’économie capitaliste du monde. Le modèle contemporain semble s’asphyxier de lui même, aussi est-il logique de s’interroger sur les actions à entreprendre pour reprendre en main cette situation qui nous échappe, pour favoriser un vivre-ensemble durable pour tous.

Ses différents ouvrages traitent d’économie et d’éthique et sont parfois co-écrits par des spécialistes de divers secteurs. En décembre 2008, en pleine crise financière, Cécile Renouard et d’autres personnalités sensibles à l’avenir économique se sont réunies dans le but de proposer des réformes du capitalisme contemporain. Qu’ils soient mathématiciens ou chefs d’entreprises, philosophes ou praticiens des marchés financiers, ils se sentent concernés par le futur de notre économie. De ce fait, différents sujets ont été abordés et regroupés dans l’ouvrage : Vingt propositions pour réformer le capitalisme, 2012 (3ème édition) aux éditions Flammarion. Aujourd’hui, la situation est en effet extrêmement préoccupante, mais quelles sont les actions menées pour l’améliorer ? Est-ce la remise à flot des banques aux frais des contribuables ? Quel avenir ces manœuvres économiques nous promettent-elles? Pour les différents auteurs de cet ouvrage (Gaël Giraud, Cécile Renouard…) il faut proposer de réels changements, quitte à bouleverser l’ordre contemporain. Il s’agit par exemple de proposer un contrôle financier et extra-financier des entreprises (proposition 3) ou encore d’établir une finance au service de l’économie (proposition 10). Ces propositions, loin d’être utopistes prennent en compte la question de l’environnement. L’avenir ne peut pas contourner l’écologie, non pas parce que c’est « la mode » mais parce que ce sera une composante inéluctable de l’économie. De ce fait sont proposées de nombreuses alternatives, telles que « intégrer les impacts environnementaux et sociaux des entreprises dans l’analyse financière et dans l’investissement » (proposition 4). Cet ouvrage montre qu’un avenir est possible pour l’économie et qu’il s’agit juste de trouver la voie ou les voies qui assureront un équilibre pérenne.

Il était donc intéressant, lors de cette rencontre, de voir que s’engager dans la religion et être actif dans le milieu de l’économie et des multinationales n’est pas incompatible! « Bien au contraire! » semble nous dire Cécile Renouard dans un sourire.

Les élèves ayant participé à l’échange tiennent à remercier Cécile Renouard de sa visite à Mongré et des moments d’échanges partagés

Alix Bougain et Christelle Laplanche

Le développement durable : une mode ?

Patrick Cotton (viticulteur "bio") et Bruno Roche (professeur de philosophie)

Patrick Cotton (viticulteur « bio ») et Bruno Roche (professeur de philosophie)

Le concept de développement durable d’un point de vue historique est relativement récent (terme apparu en 1986). Pour l’expliquer, il faut remonter dans le temps, au 17ème siècle (révolution industrielle). En effet à cette époque l’Occident se base sur un modèle qui promulgue la technique avant tout. Pour avoir une idée de la mentalité de l’époque, il faut se référer à René Descartes et son fameux Discours de la méthode. Il est considéré comme étant le père du modèle scientifico-technique qui s’illustre facilement par cette citation de René Descartes : « Être comme maître et penseur de la nature ».

Ce modèle anthropocentrique est largement critiqué pour deux raisons : la première est que l’homme associe la science de la nature et la nature, la seconde est que l’Occident impose ce modèle comme étant universel au reste du monde (cf.  La colonisation). Il faudra attendre le 19ème siècle pour que plusieurs tragédies obligent ce modèle à se modifier. Les nouveaux objectifs sont alors l’éradication de la famine ou encore un niveau de vie décent. Apparaît le saint-simonisme avec Auguste Comte, le projet divulgué est la révolution de l’industrie (la Tour Effel de Fourvière est une illustration du saint-simonisme). Cela fonctionnait : recul de la pauvreté, hausse du bien être etc. Ce modèle va connaître son apogée lors des Trente Glorieuses (période de forte croissance économique qu’a connue entre 1945 et 1974 une grande majorité des pays développés), mais c’est en même temps que vont apparaître les premières contestations.

La science fait peur (Hiroshima et Nagasaki). La crise du modèle débutera vers la fin du 20ème siècle ; on commence à prendre conscience des dégâts sur l’environnement (marées noires, pollution de l’air, problème du recyclage des déchets etc.). Des mouvements éco-centriques font leur apparition et revendiquent le fait que l’Homme et la Nature doivent être traités sur un pied d’égalité. L’Homme est dans la Nature et non au dessus d’elle. Il ne pourra pas survivre sans la préserver. En 1979, le philosophe Hans Jonas écrit dans son livre Le Principe responsabilité, que, puisque notre pouvoir sur la nature s’est accru, il nous incombe de nouvelles responsabilités : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre ».

Pour conclure, le concept de développement durable est aujourd’hui médiatisé mais il est peu transposé dans les actes, notamment à cause de son image (concept de riche, de pays développés, d’enfant gâté, etc.) mais aussi à cause de certaines normes de puissance supranationales. Certaines entreprises ne sont pas convaincues que l’on puisse intégrer l’idée du développement durable à l’économie : « la richesse avant la protection de l’environnement ».

Pourtant, le développement durable n’est pas une mode mais une nécessité.

Quand allons-nous en prendre conscience?

Thibault Châtelet (Terminale)

Une religieuse au cœur des multinationales

Réflexion sur le libéralisme et la mondialisation

C’est autour de noix de cajou, pâtes de fruits, et mangues séchées que les élèves de terminale L-ES ont pu approfondir le jeudi 30 avril leur réflexion sur le développement durable, au cours d’une conférence privée donnée par Cécile Renouard, une militante atypique aux réflexions alter mondialistes.

Soeur Cécile et les élèves de TL/ES2 au CDI

Soeur Cécile et les élèves de TL/ES2 au CDI

Quelle croissance pour demain ?

Faut-il changer notre mode de production capitaliste ?

Est-il possible de placer notre économie, enfin, au service de l’humanité ?

Autant de questions qui, depuis le réchauffement climatique, l’augmentation galopante des inégalités, et la crise financière secouent la planète et sèment le trouble dans nos économies.

« Il serait temps d’opérer un changement radical de notre système  »

 

C’est d’abord au travers de son vécu, son cursus scolaire puis professionnel, que Sœur Cécile nous ouvre les portes de nos grandes firmes Multinationales (FMN), pour nous donner les enjeux auxquels celles-ci sont confrontées pour répondre aux exigences du développement durable.

Diplômée de l’école supérieure de commerce (ESSEC), Cécile de Renouard s’envole pour un premier voyage vers la Thaïlande où elle découvre les conditions de vie difficiles d’un camp de réfugiés cambodgiens – pourchassés par les Khmers rouges – ayant fui le régime de Pol Pot. Puis, c’est en suivant un projet de « La Caritas » (le Secours Catholique) que la jeune femme participe à un programme d’aide aux familles habitant dans des bidonvilles insalubres. Pourtant, c’est dans ce décor où hurle la misère que Sœur Cécile découvre des communautés solidaires, animées par la volonté de se battre et de s’en sortir. Sensibilisée par leur « soif de vie », Sœur Cécile s’interroge :

 

«  Que faisons-nous contre la pauvreté ? »

« Que faisons-nous contre les injustices internationales ? »

Notre système engendre des inégalités très fortes, et nous devons les combattre. Avons-nous seulement conscience de la misère à l’échelle mondiale ?  Premier constat : toutes les richesses crées sont mal réparties et des pans entiers d’humanité sont laissés en marge du système mondialisé.

« Aujourd’hui dans le monde  1 personne sur 6 souffre de malnutrition et vit sans eau potable »

 

C’est à la suite de ces expériences que Cécile Renouard décide de rentrer dans l’ordre de l’Assomption. Elle obtiendra en 2006 un doctorat de philosophie, d’éthique et de philosophie morale. Un an plus tard, elle écrit La responsabilité éthique des multinationales (PUF). En 2008 paraît son livre intitulé Un monde possible. Les acteurs privés face à l’injustice (Seuil).

Elle vient de sortir le 25 mars 20 propositions pour réformer le capitalisme (Flammarion) écrit en collaboration avec Gaël Giraud.

 

Au cours de la conférence, l’auteur redéfinit la notion du développement durable : Il s’agit avant tout pour nos sociétés de savoir comment concilier croissance économique, développement social et respect de l’environnement ; savoir à la fois répondre aux besoins actuels tout en préservant les besoins des générations futures, mais l’erreur serait d’oublier la dimension culturelle. Il faut appeler nos sociétés à faire preuve de plus d’équité sociale, en protégeant la diversité culturelle et en venant en aide aux petits producteurs des pays du Sud. Elle ajoute que cette notion prend une tournure politique : il s’agit pour tous nos gouvernements de définir, ensemble, des règles communes pour répondre aux exigences d’un tel enjeu.

« Il y a ce que l’on veut faire de nos existences au niveau individuel, mais surtout ce que l’on veut faire de nos existences au niveau collectif ! »

Quelle est la contribution des FMN pour le développement durable dans les Pays les Moins Avancés (PMA) ?

Sœur Cécile est partie enquêter sur des filiales de grandes firmes occidentales implantées en Afrique subsaharienne,  continent le plus marqué par la pauvreté, où elle explique que malgré nos préjugés, de grands géants européens comme Total, Michelin, ou encore Unilever déploient des efforts afin de réduire leurs émissions de CO2.  Mais ce développement durable a un coût (équipements recyclables, biodégradables) que seules  les grosses firmes peuvent assumer. De plus, la question est : ces géants prennent-ils ces initiatives par un réel souci écologique ou par intérêt ?

«  C’est en rassemblant  toutes les convictions que chacun porte en soi, qu’on pourra parvenir à changer les choses ».

Concrètement, comment ces firmes contribuent-elles au développement local des pays les plus pauvres ? Quelles taxes versent-elles au pays dans lesquels elles sont implantées ?

Pour illustrer ces transformations, Sœur Cécile prend l’exemple du projet « Grameen Danone » développé au Bangladesh en 2006 par Frank Riboud, PDG de la firme française  et Muhammad Yunus (prix Nobel de la paix en 2006) connu pour avoir fondé la première institution de micro crédit dans son pays, la Grameen Bank. Ces deux hommes se sont associés pour venir en aide aux populations les plus défavorisées. L’objectif était « d’apporter la santé » en vendant aux habitants pauvres des yaourts, à un prix accessible, recouvrant ainsi 30 % des apports journaliers ; au premier abord, l’association semble fonctionner en créant des emplois : une micro usine qui fait travailler les gens du pays et où les fermiers sont libres d’apporter leurs propres laits. De plus, la distribution est assurée par des femmes, une façon pour elles de s’émanciper.

Mais cette pratique a ses revers. En effet le projet élaboré par Grameen relève de la stratégie BOP « Bottom Of the Pyramid » (le bas de la pyramide) enseignée aux jeunes diplômés américains dans les grandes écoles : «  Sur 6 Milliards d’habitants, 4 Milliards sont pauvres, autrement dit il y a 4 milliards de personnes à qui je ne peux pas vendre mes produits ». A première vue, la théorie du « win-win » (gagnant-gagnant) semble être LA solution pour contrer la pauvreté dans le Sud, et pourtant en regardant d’un peu plus près, les sociétés non financières (SNF) aggravent la situation en menaçant  les produits locaux de disparaître, par la concurrence qu’elles leur imposent.

Il faut reconnaître que, dans le cas du projet Grameen Danone, il est prévu que 97% des profits soient réinvestis sur place. Il s’agit d’un projet de « social business » qui est complètement orienté vers les besoins des populations pauvres. Ce n’est pas le cas dans la plupart des projets relevant de la stratégie BOP ; d’où le caractère ambigu de cette théorie.

Cécile Renouard note que Frank Riboud est le PDG le mieux payé du CAC 40 (4,279 millions d’euros en 2008 selon le magazine Challenges) et ce contraste entre sa politique « Gramen-Danone » et son salaire n’échappe pas à Sœur Cécile, qui sait garder un œil critique tout en exposant ses idées.

La crise financière semble avoir  montré les limites du « laisser faire et du laisser passer », en propageant une crise d’importance mondiale aux conséquences sociales et économiques dévastatrices. Elle pose désormais le besoin d’une nouvelle croissance laissant intervenir davantage de morale.

Faudra-t-il attendre à chaque fois un dysfonctionnement du système pour mieux réagir ?

Ce n’est pas ce que pense Sœur Cécile, convaincue qu’une personne peut, par sa volonté et son engagement, influer à elle seule sur une situation.

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Après une courte pause où nos papilles ont plus travaillé que nos oreilles (les produits étaient biologiques et issus du commerce équitable !), de nombreux élèves ainsi que nos professeurs (Mme Angelot et Mme Lecocq) sont intervenus.

▪  Je ne vois pas comment les choses vont changer car ceux qui ont le pouvoir de les faire évoluer sont ceux qui en profitent le plus. Ils n’ont sans doute pas d’intérêt à ce que le monde change !

▪  Ce que fait Danone, c’est bien mais Danone n’est qu’une FMN parmi tant d’autres. Or il y en près de 70 000 !

 

▪  On sait depuis plusieurs années que le système est défaillant. Qu’est-ce qui empêche les choses de changer ?

« Le poids du passé joue beaucoup mais il y a des divergences d’opinions. On n’arrive pas à se mettre d’accord sur la technique à adopter : réduire les inégalités ou continuer de se développer, autrement dit d’une façon plus schématique, que faire ? Grossir le gâteau ou mieux répartir les parts ? Tous les économistes n’ont pas le même point de vue sur la question. »

▪  Quel est le lien entre votre foi, votre emploi chez Total et votre engagement sur le développement durable ?

« D’abord, je ne suis pas employée chez Total, mais je suis observatrice et je me permets de critiquer Total. Je peux aussi dire que mon engagement est lié à ma foi et que l’Evangile est pour la transformation du monde. St Jean nous a bien dit : « Si vous aimez Dieu et que vous n’aimez pas votre prochain, vous êtes un menteur ». Et je tente avec d’autres, de travailler à un monde plus juste. »

Aussi, pour conclure, nous retiendrons surtout de cette conférence, que même si la situation paraît désespérée aux yeux de beaucoup, il reste encore de l’espoir et cet espoir réside en nous, ou plutôt dans nos actions, dans notre volonté de changer le système en profondeur.

« Il ne faut pas tomber dans un fatalisme et se dire que tout est fini. Il faut y croire. Il faut croire que, à notre échelle, avec nos petites actions, nous pouvons déjà faire avancer les choses. »

Anne-Sophie Raffa, Floriane Brément, Benoît Blondeau, élèves de Terminales L/ES.

Ce travail a été réalisé dans le cadre des cours de Sciences Economiques et Sociales (SES) et de Philosophie avec Mme Angelot et Mme Lecocq.