Belle-Ile en Mer…
Elle représente pour lui tant de choses maintenant, à commencer par sa nature si sauvage, si entière, parsemée de champs et de petits vallons improbables dans lesquels se nichent des villages.
Reine des marées, Princesse des vents, Perle de la mer, elle expose sans repos, depuis des siècles, aux intempéries, au souffle des tempêtes, à l’assaut des vagues, son dos et ses flancs si profondément imprégnés de l’histoire de ses habitants.
Lorsqu’il débarqua pour la première fois au Palais, il n’avait pourtant pas le moindre sentiment pour cette île.
Il était envoyé par une grande firme américaine, afin de racheter un maximum de maisons et de vider les restantes, pour que cette société puisse tout raser puis construire une sorte de gros loft pour personnes richissimes et débilitantes.
C’était une affaire qui allait rapporter gros pour tout le monde et c’est en s’efforçant de ne penser à rien et de ne rien voir d’autre que son travail qu’il arriva, tel un âne aveugle doté d’œillères.
Il s’installa dans une petite maisonnette, dans un village tout aussi minuscule, situé dans un de ces surprenants vallons, tout fleuri de boutons d’or à cette époque.
Il commença ses opérations : il avait déjà réussi à racheter trois ou quatre petites propriétés lorsque sa voisine, qui le surveillait de loin depuis son arrivée, commença à soupçonner quelque chose.
Elle faisait partie de ces petites vieilles qui portent la coiffe traditionnelle et continuent de cultiver leur potager, entourées d’innombrables animaux, possédant l’intelligence du cœur et la sagesse de l’âge.
Elle vint un matin sonner à sa porte en lui disant :
« Cher monsieur, avant de commettre la moindre erreur irréparable, laissez-moi vous montrer notre Belle-Ile. »
Il n’eut alors le loisir de résister : elle le prit par la main, et le tirant hors de chez lui, le mena devant une bicyclette, celle avec laquelle il allait par la suite visiter tout le pays.
Valentine (car c’était son nom) l’emmena alors partout.
Armés de cannes à pêche, ils descendirent jusqu’à la cime des vagues pour pêcher le bar, perchés sur la falaise tels les goélands dont ils voyaient les nids à cinquante mètres à peine d’eux.
Pédalant sur leurs vélos, ils traversèrent la lande couverte de genêts dans tous les sens, elle lui fit découvrir des villages cachés au milieu de leurs champs plus charmants les uns que les autres, et ils déjeunèrent dans de merveilleuses brasseries, dotées de patronnes incroyablement « vraies », belles, vivantes, douces et bavardes.
Valentine l’emmena un jour au Palais, visiter le fort-étoile de Vauban, dans lequel il apprit toute l’histoire de l’île, et après quoi elle lui raconta son histoire à elle, celle de son enfance, celle d’une époque presque révolue mais encore un peu présente, l’époque des sabots au pieds, des tabliers et des coiffes des femmes, du dur labeur des champs, des pêcheurs, que pour certains, on ne mettait jamais en terre, car avalés trop tôt par la mer, époque aussi des histoires bretonnes au coin de l’âtre, une fois la nuit tombée, pendant lesquelles les yeux émerveillés des enfants luisaient dans la pénombre. Histoires fantastiques peuplées de Korrigans, de fées, de sorcières et de magiciens, et de la terrible menace de l’Ankou…
Tout en lui racontant son histoire, son époque, ses coutumes et ses souvenirs, ils entrèrent dans une boulangerie où ils s’offrirent toutes les spécialités pâtissières, du Far au Kouign-Aman en passant par les galettes bretonnes et de délicieuses brioches jaunes de beurre.
Lorsqu’il rentra dans sa petite maison ce soir-là, le vent s’était mis à souffler très fort. Dans l’après-midi effectivement, Valentine, en regardant le ciel, avait décrété qu’une tempête arrivait, et elle l’avait prévue pour la nuit.
Il fut réveillé une ou deux fois par le bruit du vent rugissant contre sa fenêtre. Les deux fois il se leva, et, l’ouvrant toute grande, prit le plaisir d’observer le somptueux spectacle de la toute puissance de la tempête déferlant sur la lande, maltraitant les champs et la végétation alentour, renforcé par le bruit terrible des vagues se fracassant contre les récifs, telles leurs ancêtres qui firent périr nombre de marins avant elles.
Et quand il frappa vers dix heures le lendemain matin à la porte de son amie, personne ne lui répondit. Il interrogea alors le voisinage et un enfant lui apprit qu’elle était partie tôt sur la côte sauvage. Le vent soufflait encore très fort, et, pris de panique, il gagna le bord de mer le plus vite possible.
En arrivant sur la côte, le bruit était assourdissant, encore renforcé par le mugissement du vent.
Le pire était qu’il n’y avait pas trace de Valentine…
Il se mit alors à hurler son nom, à la chercher frénétiquement, imaginant toutes sortes de choses plus horribles les unes que les autres : avait-elle été emportée par une lame de fond plus forte que les autres? Ou avait-elle trébuché et était alors tombée dans la gueule fracassante de la mer ? Était-elle morte à présent, noyée au fond de l’eau ou gravement blessée et agonisant dans un trou?
Il comprenait enfin la puissance des hommes, leur danger, leur pouvoir de tuer de la même façon qu’on claquerait des doigts. Nous, Hommes, avons la vanité de croire que nous pouvons domestiquer la nature, de la même façon que nous essayons de domestiquer des tigres. Et nous avons aussi la bêtise d’ignorer son pouvoir, son droit de vie ou de mort…
C’est alors qu’il entendit, confondu dans le vent, le cri tant espéré de sa chère Valentine. Suivant les bribes de voix éparpillées dans le vent, il finit par la retrouver coincée dans un trou plutôt profond. Son bras était replié sous elle selon un angle bizarre et son visage était perlé de sueur tant elle devait avoir mal.
Elle lui expliqua alors rapidement qu’elle s’était levée tôt pour aller voir le reste de tempête sur la mer, qu’elle avait trébuché et était tombée dans ce trou caché par des touffes de genêts. Elle se trouvait idiote!!! Et surtout elle avait horriblement mal…
Il dut faire appel à toute sa délicatesse pour l’extirper de là, puis à tout son sang-froid pour la conduire jusqu’à l’hôpital de Quiberon. On la plâtra et ils n’eurent pas de mal à rentrer chez elle.
C’est alors qu’un énorme problème se posa : qui allait lui faire la cuisine, le ménage, s’occuper de son potager, de nourrir ses animaux?
Il reçut exactement, à ce moment là de leurs réflexions respectives, un coup de fil urgent de sa société et il eut un déclic. Il se rendit tout d’un coup compte qu’il était tombé amoureux de ce pays, qu’il y avait trouvé une belle (qui certes avait dix ans de plus que lui, mais quelle importance ?) et il fit alors la chose la plus compliquée du monde le plus simplement : il donna sa démission.
Zoé Bietrix, Seconde 4
Ce travail a été réalisé à la suite de l’intervention d’une conteuse au CDI avec Madame Neau (professeur de français) et Madame Lecocq (documentaliste).
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